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Enquête sur les silences obtenus par l'enseignement et la psychiatrie

20 novembre 2013

17. Le sabre et le goupillon "laïc" ou pas : un enseignement primaire qui synthétise tout

Faire feu de tout bois, c'est bien là le joli principe sur lequel va déboucher la grande peur des bien-pensants du temps de la Commune de Paris. Le tout devant se trouver couronné par l'heureux dénouement  du procès en béatification de Jeanne d'Arc en 1912, soit à la veille du déclenchement de la première guerre mondiale qui verra les catholiques rallier, comme un seul homme, la France républicaine pourtant issue de la séparation, en 1905, de l'Église et de l'État

Mais, à peine le sang des Communards avait-il été lavé dans les rues de Paris, que le Bulletin de la Société Franklin énonçait l'essentiel du plan à mettre en oeuvre au plus vite, et son très rigoureux parallélisme avec la question de la Revanche sur la Prusse :

"Si nous voulons sauver la France il faut instruire la nation comme il faut l'armer. Il faut l'instruction obligatoire et immédiate comme il faut le service militaire obligatoire et immédiat. Il faut que chaque individu soit instruit contre l'ignorance, la misère et l'envie. Il faut enlever au socialisme brutal ces torches avec lesquelles il vient d'incen-dier Paris. L'instruction populaire est la seule force qui puisse les lui arracher." ("Le feu sous la cendre", page 314)

L'envie... Phénomène moral... Phénomène particulièrement immoral... N'avoir pas, et souhaiter s'emparer de ce que l'autre a. Sa propriété donc... Vilain, vilain... Que le bien produit par l'ouvrier puisse échapper à son contrôle : normal, normal... Qu'il tombe dans la propriété d'autrui : rien que de très banal... Propriété, seul bien "inviolable et sacré" (article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen d'août 1789)...

Qu'il devienne moralement impossible à tout enfant du peuple en âge d'aller à l'école d'oser "envier" la richesse bourgeoise... qui ne cesse pourtant d'accaparer le temps de vie d'autrui... et les élections auxquelles il participera quand il sera devenu adulte ne pourront être que très bonnes... Tandis que celles et ceux qui viendront bien plus tard après lui - au temps de la radio, de la télévision, et d'Arte tout spécialement - seront parfaitement armé(e)s pour voir dans Karl Marx, mais surtout dans Joseph Staline, tout ce que l'humain peut avoir de plus cruel et de plus dépravé...

Tandis que la vraie intelligence et la vraie morale se trouveront du côté, par exemple, de la Ligue de l'Enseignement qui s'offre à l'avant-garde du nouveau combat d'après 1871 :

"Sous la pression des événements que nous venons de traverser, convaincu que le premier devoir et le premier besoin sont d'élever le niveau intellectuel et moral du pays, le cercle parisien de la Ligue de l'Enseignement a résolu de provoquer dans toute la France un grand mouvement en faveur de l'éducation du peuple... Après les Prussiens, après la Commune, la croisade contre l'ignorance doit s'affirmer plus énergiquement que jamais et multiplier ses efforts." ("Le feu sous la cendre", page 314)

Décidément, en France, comme au Tonkin ou en Afrique, terres de mission...

Michel J. Cuny

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20 novembre 2013

16. Sur le sang des Communards, la montée d'une classe intermédiaire...

Après la défaite face à la Prusse, après le retournement des fusils d'une partie de l'armée française contre le peuple de Paris - hommes, femmes, enfants et vieillards -, après la perte de l'Alsace-Lorraine qui, aussitôt, invitait à la Revanche, la France allait devoir emboiter le pas à l'Allemagne et à l'Angleterre, et, tout en rénovant son industrie et son armée, rebâtir une unité nationale. Elle le ferait autour de la République conservatrice de monsieur Thiers et de la fiction d'une Histoire de France tout en images... pour le peuple.

Mais l'image est fondatrice de l'humain, ainsi que Sigmund Freud devait commencer de nous l'enseigner au tournant des deux siècles. Elle est fondatrice en ce qu'elle l'emmène dans un monde d'où il ne lui est plus possible de retrouver sa vérité, ni celle du monde qui l'environne : sauf, pour lui, à élaborer les modalités d'expression et d'authentifi-cation du discours inconscient qui l'enserre dans sa totalité.

Le point de chute de cette mise en images - autour de la figure reine de l'Alsace-Lorraine manquant à la carte de l'hexagone affichée, peu à peu, dans les écoles -, ce sont les millions de morts de la guerre de 1914-1918... C'est aussi un déploiement jusqu'alors inconnu de la colonisation, par la France, d'une partie de l'Asie du Sud-Est et d'une autre, en Afrique, avec ces massacres en masse et toutes les horreurs qui s'y continuent en ce début de XXIème siècle.

Voilà donc l'une des tâches principales de l'école laïque, gratuite et obligatoire : façonner une conscience encore plus nationaliste que nationale, et qui offrera à la domination bourgeoise tout ce qu'il faut pour lui permettre de brandir, à bon prix, le manche de la répression morale (scolaire) à l'intérieur, et physique (militaire) à l'extérieur : des deux côtés, il y avait du galon à prendre. Ce que toute une nouvelle classe intermédiaire a pu s'offrir, sur la mise au pas des producteurs et productrices de cette plus-value d'origine prolétarienne qui sert d'aliment à la propriété mobilière et foncière.

Comme le constate Michel Bréal dès 1872 :

"Augmenter les ressources de l'individu et multiplier du même coup la richesse de l'Etat, répandre une moralité qui rende les crimes plus rares et un respect des lois qui diminue l'armée de l'émeute, égaler la diffusion des lumières à l'extension des droits politiques et éclairer notre souverain, qui est le suffrage universel, tels sont les motifs qu'invoquent ordinairement les partisans de l'instruction du peuple." ("Le feu sous la cendre", pages 313-314)

Éclairer ce suffrage universel souverain qui - par définition, faut-il dire - est nécessai-rement aveugle : c'est ce qui fait par-dessus tout jouir la bourgeoisie qui aime bien, elle, s'apitoyer sur l'infirmité des autres quand elle l'arrange...

Michel J. Cuny

19 novembre 2013

15. Libre-échange et concurrence internationale : l'adaptation nécessaire de la main-d'oeuvre

Dix ans avant que Napoléon III ne se décide à s'enferrer avec la Prusse dans une guerre qui allait se révéler calamiteuse pour lui tout spécialement, et pour la France plus généralement, il s'était avancé vers une politique nouvelle, du côté de l'Angleterre, en signant le traité de libre-échange de 1860.

La concurrence étrangère désormais imposée à l'économie française devait se traduire, dès que possible, par une modification assez profonde du système industriel de pro-duction. De nouvelles machines, de nouvelles techniques allaient exiger une nouvelle main-d'oeuvre.

Dans un rapport officiel publié par le Moniteur du 17 septembre 1866, on lisait :

"C'est l'instruction qui tout à la fois donne à l'ouvrier le goût et l'intelligence des choses de sa profession et lui inspire de saines idées de dignité personnelle, de prévoyance, d'épargne, d'établissement et de famille... Développer l'instruction c'est prévenir le paupérisme, c'est diminuer le nombre des criminels." ("Le feu sous la cendre", page 312)

Voilà donc du "développement durable", ainsi que 150 ans plus tard on ne cessera de nous le vendre, et pour les mêmes raisons...

Le "durable" va concerner les travailleurs qui peuvent espérer prendre leur place dans la croissance économique dont ils vont être les promoteurs à travers l'utilisation d'ins-truments de travail beaucoup plus performants, par exemple, que ceux de l'artisanat ou de l'agriculture de subsistance. Tandis qu'eux-mêmes verront le temps se déployer devant eux pour une génération  entière - ce qui englobe tout la période d'éducation et d'entrée dans la vie adulte de leurs enfants -, l'amélioration de la productivité de leur travail condamnera les autres à la perte de leurs modestes outils - pour ceux qui en disposaient encore - et au chômage pour ceux qui étaient employés dans des métiers désormais dépassés.

La Commune de Paris aura donc servi à mettre au pas ces derniers, tandis que l'ins-truction hisserait les autres vers l'accès à un futur stabilisé aux côtés des nouveaux maîtres de la production industrielle.

Ainsi que nous l'écrivions, Françoise Petitdemange et moi dans "Le feu sous la cendre" :

"On ne s'étonnera donc pas de retrouver dès 1861, parmi les promoteurs de l'obligation et de la gratuité scolaires, des manufacturiers dont les Dollfus Mieg, les Peugeot, les Japy. On peut remarquer tout de suite que Jules Ferry, qui devait, vingt ans plus tard, lier son nom à la loi sur l'obligation, la gratuité et la laïcité, appartenait lui aussi à cette mouvance idéologique, en particulier depuis son mariage avec une petite-fille du grand industriel protestant de Thann, Kestner." (page 312)

Michel J. Cuny

18 novembre 2013

14. Les petits miracles de la persuasion laïque

Comme nous l'avons vu, c'est au pire de la tourmente lyonnaise de 1831, que Saint-Marc Girardin avait avancé une idée qui devait connaître un bel avenir. En présence de cette insurrection des "Barbares qui menacent la société", il avait écrit :

"Et ces hommes à qui il faut tant de vertu, tant de réserve, ce sont des hommes que la société a laissés pendant longtemps sans instruction. Elle ne leur a pas donné la lecture qui pouvait les éclairer, les instruire, les civiliser, et elle leur donne des armes !" ("Le feu sous la cendre", page 9)

Précisons : ces armes étaient celles de la garde nationale. Quant à la "lecture", de quoi pouvait-il bien s'agir ? De la technique de lecture : rien qu'elle ? Ou d'une technique orientant vers les bonnes façons de lire la réalité économique, sociale et politique ?

Dans l'ouvrage qu'il publie en 1872 : "Quelques mots sur l'instruction publique en France", Michel Bréal reprend le même propos en montrant bien qu'il s'agit d'une alternative à quelque chose de terrible :

"C'est en vain qu'on aura comprimé l'insurrection : si les causes persistent, les effets se reproduiront. Sans l'instruction des masses, il est à craindre qu'il ne faille, à des intervalles de plus en plus rapprochés, procéder sur la population de nos grandes villes à des amputations chaque fois plus cruelles. [...] Le seul bienfait incontesté par lequel l'Etat peut gagner le coeur du peuple, c'est l'instruction." ("Le feu sous la cendre", page 309)

Ayant mené, dans les années 1950, un travail de recherche sur les documents traitant de ce qui avait pu se passer dans "Les écoles primaires de la France bourgeoise (1833-1875)", Maurice Gontard rapporte ce texte rédigé à propos de la concurrence avec les écoles tenues par des associations religieuses :

"De l'instruction laïque bien dirigée dépend l'avenir de la famille et de la Patrie car, il ne faut pas le cacher, la jeunesse élevée par les laïcs se soumettra toujours avec plus de franchise à l'obéissance des lois et à la Patrie que ceux élevés par les congréganistes. C'est pourquoi certaines gens n'aiment pas l'instruction laïque parce qu'on voit qu'elle marche de concert avec le chef du Gouvernement." ("Le feu sous la cendre", pages 310-311)

Le même auteur rapporte encore cette constatation faite en 1863 :

"La crise cotonnière n'a amené aucun désordre matériel dans la Seine-Inférieure qui occupe le 34ème rang sur la liste des départements classés d'après le degré d'instruction, tandis qu'un simple changement dans la perception d'une taxe de marché vient d'être la cause d'une émeute dans la Corrèze qui a sur la liste le numéro 80." ("Le feu sous la cendre", page 311)

Quelle que soit l'approximation des preuves prétendument apportées, nous sentons qu'il paraît bien se passer tout de même quelque chose. De quoi peut-il s'agir ? De l'intégration de la loi sociale... Nous y reviendrons.

Michel J. Cuny

18 novembre 2013

13. Le vrai ciment de la France bourgeoise : le sang des Communards

La crudité des mots n'est rien évidemment à côté de la réalité qu'ils reflètent...

Voici ce qu'on peut lire dans L'indépendance Française du 26 mai 1871 :
"Au moment où le souffle nous revient, où l'air rentre dans nos poumons flétris par l'impur courant de ces monstres odieux, un seul cri peut sortir de nos lèvres, et ce cri sera celui de tout Français : Pas de pitié pour ces infâmes ! Un seul châtiment peut expier de pareils crimes : La mort !" ("Le feu sous la cendre", page 302)

Ainsi, ce qui persiste au sein de la société française du début du XXIème, c'est la menace de cette mort-là. Ancienne menace, mais toujours aussi terrifiante, et qui n'attend que d'être remise en action dès le premier moment d'une tentative de bouleversement du système d'appropriation des richesses produites, et tout spécialement des moyens de production et d'échange.

Or, ce bouleversement s'annonce par toutes sortes de phénomènes... En particulier, le renouvellement de ce que l'on appelle désormais le "modèle économique" est une question qui traverse quotidiennement l'ensemble du système de production capitaliste. Comment "valoriser" les fruits de son activité à travers l'usage des nouvelles technologies ? Sinon, c'est la ruine.

Comment réagiront les cohortes entières de Françaises et de Français qui vont basculer du côté des victimes d'une nouvelle forme d'accumulation primitive centrée sur le rapport de force le plus brutal ? Prétendront-ils envahir les rues ? S'en prendront-ils à quelque bâtiment public ?

Révisons nos classiques, en lisant ce qu'écrivait le journal La Constitution, le 27 mai 1871 :
"Ces hommes ne sont plus des ennemis qui combattent : ce sont des assassins et des incendiaires. Qu'on les traite comme les hommes qui ont versé le sang et mis le feu. Qu'on ne fasse pas de quartier, surtout aux étrangers qui sont à leur tête !" ("Le feu sous la cendre", page 302)

Les Occidentaux n'ont-ils pas aidé à développer ce genre de tendresse en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Côte d'Ivoire, en Syrie ?

Voici Le Fils Duchêne, du 28 mai 1871 :
"Pas de pitié... Nous ne voulons user jusqu'au bout, sans colère, que d'un seul droit : le droit de faire justice !" ("Le feu sous la cendre", pages 302-303)

Edmond de Goncourt donnait, pour sa part, ce qui est peut-être le fin mot de ce drame, et - par avance - le fin mot de la guerre, bien plus lointaine, de 1914-1918, dans son Journal, et ceci dès le 31 mai 1871 :
"Enfin la saignée a été une saignée à blanc ; et les saignées comme celle-ci, en tuant la partie bataillante d'une population, ajournent d'une conscription la nouvelle révolution. C'est vingt ans de repos que l'ancienne société a devant elle, si le pouvoir ose tout ce qu'il peut oser en ce moment." ("Le feu sous la cendre", page 303)

Encore cette lettre d'un lecteur publiée par le Figaro du 1er juin 1871 :
"Chacun de nous doit faire la police de son quartier et signaler d'une manière implacable tout individu ayant pris une part active à cette déshonorante insurrection. C'est un devoir civique..." ("Le feu sous la cendre", page 303)

Devoir que  rempliront demain, pour l'essentiel et avec un certain gain de fiabilité, les plus raffinés des appareils optiques... Ne serait-ce que pour nous faire mieux constater ce que Karl Marx disait à propos du Mur des Fédérés, ce "témoignage d'une éloquence muette de la furie dont la classe dirigeante est capable, dès que le prolétariat ose se dresser pour son droit". ("Le feu sous la cendre", page 306)

Michel J. Cuny

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17 novembre 2013

12. La bourgeoisie française d'après 1871 perfectionne les outils de sa domination

Il y a un temps pour tout. Dans le numéro du 6 mai 1871 du Drapeau Tricolore, Francisque Sarcey avait souligné le problème que posait l'existence de la Commune de Paris, et indiqué la solution qui lui était immédiatement applicable :

"Il faut que Paris cède et soit vaincu. Dût-on noyer cette insurrection dans le sang, dût-on l'ensevelir sous les ruines de la ville en feu, il n'y a pas de compromis possi-ble..." ("Le feu sous la cendre", page 301)

C'est qu'il y va d'une question de principe. Francisque Sarcey l'abordait, dans le même numéro, mais quelques lignes avant :

"Le siège de Paris, en suspendant tout travail, en allouant trente sous par jour aux gardes nationaux, pour jouer au bouchon sur les remparts... a développé leurs instincts de fainéantise et donné des armes à leur brutalité naturelle. Les loisirs qu'il leur a faits les ont mis à même de se compter, de s'organiser, de conclure ensemble le pacte de la paresse et de la haine..." ("Le feu sous la cendre", pages 300-301)

Ayant constaté l'impéritie des autorités face à l'envahisseur prussien, la Commune de Paris avait en effet pris ses responsabilités en organisant elle-même la défense de la capitale et sa libération de l'emprise ennemie. Le coeur de l'affaire, c'est qu'en agissant ainsi, elle rétablissait la citoyenneté populaire et laissait prévoir des lendemains où le travail ne serait plus susceptible de rentrer sagement sous la domination de la bourgeoisie.

Le 15 mai, le Figaro voyait, lui, un peu plus loin dans le temps. L'affaire réglée par le sang, que conviendrait-il de faire pour garantir les temps futurs ? 

"Mettez sur les bords de la Nouvelle-Calédonie les cent cinquante mille personnes qui ne veulent pas se soumettre aux lois. Donnez-leur des vivres et des vêtements pour un an, fournissez-leur des outils, des armes, faites-leur une pacotille et dites-leur de fonder leur commune en paix..." ("Le feu sous la cendre", page 301)

... dans une colonie lointaine. On sait que c'est, en effet, ce qui a bientôt fini par se passer, et pas seulement avec les ancien(ne)s de la Commune.

Ce qu'il y aurait à trouver, dans les lointains, c'est une forme d'appropriation conquérante qui peut convenir à des tempéraments qu'on veut imaginer guerriers. Mais s'il s'agit, tout en restant sur le sol de France, de tenter d'échapper à cette domination bourgeoise qui réduit le travail ordinaire à n'être qu'un strict moyen de survie, il ne peut y avoir de quartier. C'est bien ce qu'énonce le Fils Duchêne, une brochure publiée durant ces semaines de sang :

"Il importe peu à ces braves communeux que Paris se ruine, que la misère, la maladie et la mort fassent des rafles dans la population ; ils n'ont rien à perdre, eux, puisqu'ils ne possèdent rien et qu'ils ne se battent pas... Assez de batailles comme ça ! Que l'armée de Versailles arrive jusqu'à vous, vous entoure, vous écrase, vous anéantisse et refasse la France tranquille, riche, heureuse... L'amputation de votre présence est nécessaire à la vie." ("Le feu sous la cendre", page 302)

... et nécessaire à la fondation d'une vraie nation, c'est-à-dire à la mise en oeuvre de ce système qui structure la domination bourgeoise, soit l'exploitation de l'être humain par l'être humain à travers le mode capitaliste de production et d'échange.

Michel J. Cuny

16 novembre 2013

11. Une leçon particulièrement "payante"

L'ambiance dans laquelle s'est réalisée la fabrication du consensus nécessaire à l'exis-tence de la "nation" française va nous être rendue par le futur maréchal de Saint-Arnaud qui écrit à son frère le 1er juillet 1848 :
"(...) une dépêche télégraphique [...] nous a appris à Alger que l'on se battait à Paris depuis le 22, que la garde nationale et l'armée réunies avaient affaire aux Ateliers nationaux. C'est la guerre civile. C'est la bourgeoisie et le vrai peuple, les bons ouvriers, contre les gueux, la canaille, les Cabetistes, communistes, les Ledru, Barbès, Blanc, etc. C'est enfin un peu la misère qui descend dans la rue un fusil à la main pour chercher fortune. Tout cela était prévisible mais c'est affreux. Si on n'en tue pas énormément cela sera à recommencer. Mon Dieu que je voudrais être là." ("Le feu sous la cendre", page 22)

Vingt-trois ans de répit, tout de même. Mais, effectivement, en 1871, il faut remettre ça. La France bourgeoise et impériale vient de perdre la guerre malencontreusement déclarée à la Prusse. Par la voix de Thiers, elle requiert, auprès de Bismarck, qu'il délivre les soldats français qu'il a faits prisonniers : elle les retourne aussitôt contre les Communards.

Le journaliste Lissagaray écrira :
"On pousse les victimes dans les cours des mairies, des casernes, des édifices publics, où siègent des prévôtés, et on les fusille par masses. Si la fusillade ne suffit pas, la mitrailleuse fauche." ("Le feu sous la cendre", page 29)

Pour sa part, le journal le Temps rapportera :
"Qui ne se rappelle, s'il ne l'a vu, ne fussent que quelques minutes, le square, non, le charnier de la tour Saint-Jacques. Du milieu de ces terres humides fraîchement remuées par la pioche, sortaient çà et là des têtes, des bras, des pieds et des mains. Des profils de cadavres s'apercevaient à fleur de terre, c'était hideux." ("Le feu sous la cendre", page 29)

Le dernier mot sera pour Thiers, qui a bientôt télégraphié à ses préfets :
"Le sol est jonché de leurs cadavres : ce spectacle affreux servira de leçon." ("Le feu sous la cendre", page 31)

La formule est crue, mais elle n'est pas tout à fait fausse : l'Histoire paraît l'avoir vérifiée... Mais c'est que les hécatombes se sont produites tout autrement... C'est ce que l'on appelle l'impérialisme.

Michel J. Cuny

15 novembre 2013

10. "Et du sang, du sang partout !"

En 1833, la Chambre des pairs met à son ordre du jour le débat sur l'interdiction des sociétés mutualistes ouvrières. En février 1934, contre les articles 414 et 415 du Code pénal qui divisent "les citoyens d'une même cité en deux classes, l'une de maîtres, l'autre d'esclaves" et contre la suppression de l'entraide ouvrière, la grève générale est votée par la Fabrique lyonnaise.

Dans le journal la Glaneuse, Pierre-Antide Martin écrit :

"Citoyens, ce n'est pas seulement notre honneur national et notre liberté qu'ils veulent détruire, c'est notre vie à tous, notre existence qu'ils viennent attaquer. En abolissant les sociétés, ils veulent empêcher aux ouvriers de se soutenir dans leurs besoins, dans leurs maladies ; de s'entraider surtout pour obtenir l'amélioration de leur malheureux sort !" ("Le feu sous la cendre", page 12)

Après l'intervention militaire, l'abbé Pavy, futur évêque d'Alger, décrit ce dont il a été témoin dans l'église lyonnaise des Cordeliers :

"Des cadavres sanglants et défigurés par le feu, le fer des baïonnettes, des débris d'armes, de piques, de vêtements, les troncs brisés, les autels, les tabernacles, les portes des confessionnaux abattues, des sodats rouges de fureur (quelques-uns d'ivresse...) ou noirs de poudre, des brasiers encore ardents, une épaisse fumée dans toute l'étendue de l'église, un bruit confus, affreux de voix, de cris, de plaintes, de blasphèmes, et du sang, du sang partout !" ("Le feu sous la cendre", pages 12-13)

C'était bien là une façon radicale d'obtenir, des ouvriers, qu'ils acquièrent la "vertu" et la "réserve" nécessaires pour admettre, sans plus autre chose que de vagues récriminations, d'être soumis à l'ordre bourgeois. Mais le répit ne pouvait qu'être de courte durée. Dès 1848, il allait falloir remettre ça.

Mais, cette fois, nous sommes à Paris, et les ouvriers sont bien plus nombreux. D'où la nécessité dans laquelle se trouvait la bourgeoisie de recueillir des forces un peu partout en province. Ainsi est-ce avec joie et soulagement qu'Alexis de Tocqueville, député de la Manche, salue l'arrivée à Paris des quinze cents volontaires accourus de son département :

"Je reconnus avec émotion, parmi eux, des propriétaires, des avocats, des médecins, des cultivateurs, mes amis et mes voisins. Presque toute l'ancienne noblesse du pays avait pris les armes à cette occasion et faisait partie de la colonne. Il en fut ainsi dans presque toute la France. Depuis le hobereau le plus encrassé au fond de sa province jusqu'aux héritiers élégants et inutiles des grandes maisons, tous se ressouvinrent à cet instant qu'ils avaient fait partie d'une caste guerrière et régnante." ("Le feu sous la cendre", page 21)

Voilà donc en quoi consiste le creuset de la "nation"... et le sang qui va s'y déverser une nouvelle fois...

Michel J. Cuny

15 novembre 2013

9. Une limite tracée avec du sang

Dans toute société de classes, la frontière qui sépare les deux classes principales est marquée de sang. Les années, les décennies, puis, parfois, les siècles passant, il se peut que ces traces de sang n'apparaissent plus qu'aux yeux des personnes, des familles, ou des clans "informés". C'est toute la question de la lisibilité du présent.

La révolte des canuts de 1831 à Lyon a été, pour Saint-Marc Girardin, l'occasion d'établir un parallèle avec le temps des grandes invasions. C'est dire la violence des processus qui étaient à l'oeuvre sous ses yeux, et dans notre pays :

"Les Barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ni dans les steppes de la Tartarie ; ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières ; et ces Barbares, il ne faut point les injurier ; ils sont, hélas! plus à plaindre qu'à blâmer : ils souffrent ; la misère les écrase." ("Le feu sous la cendre", page 9)

Nous avons, aujourd'hui, nos banlieues... Mais l'époque n'est plus du tout la même.

Alors, qu'en était-il des Barbares établis sur les pentes de la Croix-Rousse en 1831 ? Continuons à suivre le propos de Saint-Marc Girardin :

"Comment ne seraient-ils pas tentés d'envahir la bourgeoisie? Ils sont les plus forts, les plus nombreux ; vous leur donnez vous-mêmes des armes, et, enfin, ils souffrent horriblement de la misère. Quel courage, quelle vertu il faudrait pour ne pas céder à la tentation! Et ces hommes à qui il faudrait tant de vertu, tant de réserve, ce sont des hommes que la société a laissés pendant longtemps sans instruction. Elle ne leur a pas donné la lecture qui pouvait les éclairer, les instruire, les civiliser, et elle leur donne des armes!" ("Le feu sous la cendre", page 9)

Nous le voyons, selon Saint-Marc Girardin, pour qu'ils restent bien à leur place, à la place que leur assigne le mode capitaliste de production, les Barbares lyonnais de 1831 auraient eu besoin de "vertu" et de "réserve", ce qu'il est possible de leur fournir - selon lui - en leur apprenant à lire, de sorte  qu'ensuite, ils puissent s'éclairer, s'instruire et se civiliser...

Ce qu'en bonnes Françaises et bons Français, travailleuses et travailleurs salariés, nous sommes parvenus à faire, tandis que peu à peu les générations qui nous ont précédé(e)s se faisaient dépouiller de leurs instruments de production : petits paysans, artisans villageois, etc... Une nation, quoi.

Michel J. Cuny

 

14 novembre 2013

8. Qu'est-ce qu'une nation ?

4 - Le F

           

 

 

          Michel J. Cuny - Françoise Petitdemange

                          Editions Paroles Vives

                   (initialement Cuny-Petitdemange)

                                       1986

                         (660 pages, cousu, 31 €)

 

                     Pour atteindre la page

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                            c'est ici.

 

 

"Qu'est-ce qu'une nation ?"... C'est effectivement la question à laquelle "Le feu sous la cendre" s'efforce d'apporter une réponse.

Allons tout de suite à l'essentiel : par nation, en France, il faut entendre l'ensemble de la population native du pays et rassemblée sous la classe bourgeoise. Tout ce qui est dit "national" s'entendra donc ici comme ce qui n'existe que sous la domination des propriétaires des moyens de production et d'échange. Nous laissons à d'autres le soin de s'égarer avec d'autres façons d'interpréter le même terme.

Ainsi, au coeur même de la notion de "nation", il y a ce qu'a très bien perçu Saint-Marc Girardin lorsqu'il écrit, le 8 décembre 1831, dans le Journal des Débats, à l'occasion de la première révolte des canuts de Lyon :

"Il ne faut rien se dissimuler ; car à quoi bon les feintes et les réticences ? La sédition de Lyon a révélé un grave secret, celui de la lutte intestine qui a lieu dans la société entre la classe qui possède et celle qui ne possède pas." ("Le feu sous la cendre", page 9)

Il ne s'agit évidemment ni de posséder sa chemise ou pas. Ni de posséder les fruits de son labeur, ou pas. Il s'agit d'appartenir à la classe qui accapare les outils de production et d'échange, et qui vit de cet accaparement parce qu'il existe, en face d'elle, une classe qui, sans ressource autre que de proposer sa force de travail, doit travailler pour vivre, c'est-à-dire offrir l'usage de ses capacités physiques, psychiques et intellectuelles pendant un certain temps quotidien, et contre un salaire qui a, pour caractéristique essentielle, de jouxter le minimum vital. Voilà ce qui fait la fondation d'un pays vivant sous l'emprise du mode capitaliste de production. Voilà ce que doit couvrir l'idéologie de la "nation".

Or, Saint-Marc Girardin, lui, ne s'y trompe pas :

"Notre société commerciale et industrielle a sa plaie comme toutes les autres sociétés ; cette plaie, ce sont ses ouvriers." ("Le feu sous la cendre", page 9)

Sans quoi, elle serait un véritable paradis... C'est ce qu'à compter de 1983, les heureux du socialisme mitterrandien ont fini par croire plus fortement que jamais : le parti communiste était rompu.

Michel J. Cuny

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Enquête sur les silences obtenus par l'enseignement et la psychiatrie
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