15. Libre-échange et concurrence internationale : l'adaptation nécessaire de la main-d'oeuvre
Dix ans avant que Napoléon III ne se décide à s'enferrer avec la Prusse dans une guerre qui allait se révéler calamiteuse pour lui tout spécialement, et pour la France plus généralement, il s'était avancé vers une politique nouvelle, du côté de l'Angleterre, en signant le traité de libre-échange de 1860.
La concurrence étrangère désormais imposée à l'économie française devait se traduire, dès que possible, par une modification assez profonde du système industriel de pro-duction. De nouvelles machines, de nouvelles techniques allaient exiger une nouvelle main-d'oeuvre.
Dans un rapport officiel publié par le Moniteur du 17 septembre 1866, on lisait :
"C'est l'instruction qui tout à la fois donne à l'ouvrier le goût et l'intelligence des choses de sa profession et lui inspire de saines idées de dignité personnelle, de prévoyance, d'épargne, d'établissement et de famille... Développer l'instruction c'est prévenir le paupérisme, c'est diminuer le nombre des criminels." ("Le feu sous la cendre", page 312)
Voilà donc du "développement durable", ainsi que 150 ans plus tard on ne cessera de nous le vendre, et pour les mêmes raisons...
Le "durable" va concerner les travailleurs qui peuvent espérer prendre leur place dans la croissance économique dont ils vont être les promoteurs à travers l'utilisation d'ins-truments de travail beaucoup plus performants, par exemple, que ceux de l'artisanat ou de l'agriculture de subsistance. Tandis qu'eux-mêmes verront le temps se déployer devant eux pour une génération entière - ce qui englobe tout la période d'éducation et d'entrée dans la vie adulte de leurs enfants -, l'amélioration de la productivité de leur travail condamnera les autres à la perte de leurs modestes outils - pour ceux qui en disposaient encore - et au chômage pour ceux qui étaient employés dans des métiers désormais dépassés.
La Commune de Paris aura donc servi à mettre au pas ces derniers, tandis que l'ins-truction hisserait les autres vers l'accès à un futur stabilisé aux côtés des nouveaux maîtres de la production industrielle.
Ainsi que nous l'écrivions, Françoise Petitdemange et moi dans "Le feu sous la cendre" :
"On ne s'étonnera donc pas de retrouver dès 1861, parmi les promoteurs de l'obligation et de la gratuité scolaires, des manufacturiers dont les Dollfus Mieg, les Peugeot, les Japy. On peut remarquer tout de suite que Jules Ferry, qui devait, vingt ans plus tard, lier son nom à la loi sur l'obligation, la gratuité et la laïcité, appartenait lui aussi à cette mouvance idéologique, en particulier depuis son mariage avec une petite-fille du grand industriel protestant de Thann, Kestner." (page 312)
Michel J. Cuny